Le SPACE est un salon agricole connu pour être un lieu de rencontre des productions animales au niveau européen. L’agriculture biologique y est aussi présente grâce aux acteurs régionaux du Grand Ouest notamment.
Organisée par Initiative Bio Bretagne, une table-ronde sur le thème « Où en sont les filières bio aujourd’hui ? » a permis d’échanger les points de vue sur la situation actuelle. Elle a réuni une 100aine de participants. En cette période de ralentissement du marché Bio, analyser les causes des difficultés et envisager les perspectives étaient les objectifs de cet événement. Initiative Bio Bretagne a également profité de ce salon pour publier une Fiche de synthèse sur « Les filières animales en agriculture biologique ».
Après une introduction du président de l’Agence Bio, Loïc Guines, pour rappeler les chiffres de production et de marché bio 2021 et les tendances 2022, la table ronde réunissait plusieurs acteurs des filières animales bio :

Intervenants table ronde filieres bio - ©Initiative Bio Bretagne

  • Julien Sauvée, président FRAB Bretagne
  • Daniel Haener, responsable filière œufs EUREDEN
  • Arnaud Ménard, responsable filières laiterie OLGA, ex-Triballat
  • Pascal Balle, administrateur TERRENA, représentant de la Coopérative Agricole Ouest
  • Jérôme Jacob, président BVB (Bretagne Viande Bio).

 

Une offre croissante, une demande volatile

Le rappel des chiffres du marché est sans appel avec la baisse de 1,3% constatée entre 2021 et 2020 (à relativiser du fait de l’effet Covid en 2020) et le recul des ventes au 1er semestre 2022 estimé à -8,3% en GMS[1] et à -15% en magasins spécialisés[2] : « La filière Bio fait face à une situation inédite : dans un contexte de fin de pénurie de produits, il est nécessaire de stimuler la demande pour accueillir les agriculteurs toujours plus nombreux à vouloir passer en Bio », constate Loïc Guines, Président de l’Agence Bio.
Les produits laitiers biologiques sont particulièrement touchés (sauf lait liquide en grande surface), tandis que la part des œufs bio se maintient, au-dessus de 30%. Les ventes de viande Bio connaissent un net recul.
Et pourtant, selon l’Agence Bio, en 2021, les surfaces engagées en Bio ont progressé de 9%, portant à 58 413 le nombre des fermes engagées, couvrant 10,3% de la SAU française.
Les régions Bretagne et Pays de Loire sont particulièrement touchés par cette baisse du marché car :

  • La Bretagne et les Pays de Loire rassemblent plus de 41% du cheptel laitier, la Loire-Atlantique étant en tête des départements avec 24 079 vaches laitières certifiées Bio, suivie de l’Ille-et-Vilaine qui en comptait 22 252.
  • 41% des mises en place de poules pondeuses Bio se situent dans le Grand Ouest, avec aux premières places les Côtes d’Armor (1,19M) et le Morbihan (789 441).
  • Les Pays de la Loire rassemblent près de 40% des mises en place de poulets de chair certifiés.

Pour relancer la consommation de produits Bio, une campagne de communication a été lancée à l'initiative de l'Agence Bio dans l'objectif de remettre en lumière les fondamentaux de la Bio. Le baromètre consommateur 2021 (Agence Bio/Institut CSA) indiquait que seul 1 français sur 2 s'estimait suffisamment informe?. Il semble donc fondamental de rappeler les effets bénéfiques de la consommation de produits biologiques, notamment sur l'environnement et la sante?. Et « il faut saisir toutes les opportunités de développer la consommation de produits Bio : à la maison, à la cantine, au restaurant », concluait Loïc Guines.

Des difficultés variables selon les filières

Toutes les filières sont impactées par la crise à des degrés divers. Les causes mises en avant par les participants à la table ronde relèvent à la fois de la situation économique générale (contexte covid, inflation/coût des intrants liés à la guerre en Ukraine, contexte climatique...) mais aussi du degré d’autonomie des exploitations, voire d’orientations qui paraissent non appropriées pour certains acteurs (« certains nouveaux projets sont parfois surdimensionnés », selon Julien Sauvée, président FRAB Bretagne).

Focus Filière lait

Les exploitations qui ont un lien au sol important ont été moins impactées. Mais « pour certains éleveurs conventionnels qui ont engagé une conversion en Bio sans réfléchir à l’autonomie de la ferme, c’est compliqué ! », constate David Duguépéroux.
Côté laiteries, le retournement du marché implique une grande prudence, avec un arrêt des engagements en conversion, mais les conversions en cours sont maintenues, selon les observations des entreprises OLGA et Terrena. Le déséquilibre matière et la saisonnalité sont les deux principaux challenges des laiteries, qui ont été contraintes de déclasser une partie des volumes. Arnaud Ménard (OLGA collecte 50% de ses volumes en Bio) demeure toutefois assez confiant pour l’avenir de la filière laitière Bio : « la croissance va repartir ! ».

Répartition des cheptels de vaches laitières par région -©Agence Bio

Répartition des cheptels de vaches laitières par région -©Agence Bio

 

Focus Filière viandes

Dans un contexte de diminution globale de la consommation de viandes, un des enjeux de la filière notamment bovine, est l’équilibre matière. La valorisation des morceaux nobles est difficile face à la prédominance de la demande en steaks hachés. Un problème qui s’explique par le manque de professionnels des métiers de la viande, mais aussi par la perte d’habitude des consommateurs de préparer des morceaux nobles, selon Jérôme Jacob. Par ailleurs, les filières bovines mises en place peuvent être déstructurées par la vente de vaches laitières de réforme vendues en conventionnel en raison du prix. Côtés porcins, le développement important du nombre d’élevages ces dernières années a déstabilisé le marché, avec des mises en place importantes dans l’espoir de contrats conséquents. Comme pour les autres filières animales, la situation des exploitations diffère selon le degré de lien au sol (et d’achats d’aliments).

Focus Filière œufs

Le fort développement récent de la filière œufs a entrainé une surproduction dans un contexte de moindre consommation. Certaines coopératives comme Eureden (47 élevages Bio) n’ont pas opéré jusqu'à présent de déclassement, ayant stoppé le développement des élevages Bio depuis plusieurs années. « Il est cependant possible que certains contrats qui arrivent à terme ne soient pas renouvelés dans les prochains mois », regrette Daniel Haener.
Pour Julien Sauvée, la surproduction est liée au développement d’ateliers de grande taille par certains opérateurs, avec des ateliers de plus de 12 000 poules, qui selon lui « détournent le cahier des charges ».

Répartition des cheptels de poules pondeuses par région-©Agence Bio

Répartition des cheptels de poules pondeuses par région-©Agence Bio

Comment expliquer la situation actuelle ?

En plus des éléments cités ci-dessus, Julien Sauvée évoque également d'autres facteurs aggravants tels que les "débats dévastateurs" sur la PAC, ou le manque de moyens attribués à la communication sur la Bio dont le "manque de transparence sur l'affectation des Cotisations Volontaires Obligatoires". Le non-respect de la loi Egalim est aussi souligné par l'ensemble des intervenants à la table ronde.
Pour David Duguépéroux, « les consommateurs de produits Bio sont volatiles : on a pensé que le Bio c’était une évidence, mais dans un marché hyper contraint, c’est difficile. Le Bio ce n’est pas qu’un produit, c’est un service à l’environnement, à la santé... ». Une perte de sens dans un contexte de multiplication des labels ? « Avec la multiplication des labels, l’arrivée du local et du HVE qui n’ont pas les mêmes exigences que le cahier des charges Bio, le message reçu par le consommateur est brouillé », souligne Arnaud Ménard.
Avec les bons résultats d’avant 2021, les acteurs de la Bio se sont endormis. « Nous devons réaffirmer nos fondamentaux».
Loïc Guines rappelle également que le problème actuel « c’est bien la consommation qui n’est plus au rendez-vous ». Le décrochage de la consommation est un phénomène général qui touche tous les produits qu’ils soient Bio ou non. « L’alimentation reste toujours un élément d’arbitrage », regrette Arnaud Ménard.

Idées et perspectives pour soutenir les filières bio

Tous les intervenants s'accordent à dire qu'il faut "reprendre la parole pour expliquer aux consommateurs les fondements de la Bio" et regagner leur confiance. La communication sur la qualité des produits Bio, les bénéfices sur l'environnement (pas de pesticides, favorise la biodiversité, etc) et la santé. Réexpliquer qu'acheter un produit frais vs congelé, local, coûte moins cher et modérer l'image du "Bio cher" (le prix de certains produits Bio se rapproche aujourd'hui de celui des produits conventionnels). Certains rappellent par ailleurs que le coût de la pollution issue de la production intensive n'est pas inclus dans le prix de ces produits. D'autres émettent l'idée que, à l'opposé de la production, la distribution n'a sans doute pas été assez innovante et qu'il faut se pencher sur ce sujet.
En dépit des difficultés que traversent les filières Bio actuellement, les participants à la table ronde restent optimistes quant au développement à moyen terme de la filière Bio en général. La crise impose de se poser les bonnes questions pour rebondir. L'autonomie et le lien au sol des fermes ont été cités par plusieurs intervenants comme leviers essentiels, tout comme la communication auprès du consommateur. Du fait du déphasage entre la contractualisation à la production qui peut se faire sur plus de 10 ans, et les contrats passés avec la distribution (max sur 3 ans), les projets de développement doivent se penser en garantissant des débouchés sécurisés.
A la question de savoir si l'on peut encore s'installer en Bio aujourd'hui, les réponses varient selon les filières. En production de viande ou d'œuf, le contexte est actuellement compliqué et il convient sans doute d'avoir un peu plus de visibilité sur le marché avant de mettre en œuvre son projet. En production laitière, il y a de la place pour installer des jeunes en reprise d'exploitations. Dans tous les cas, les candidats à l'installation doivent avoir une bonne maîtrise technique de la production, mais aussi comptable.
Dans moins de 10 ans, près de 50% des fermes seront à reprendre, des opportunités d’installation en Bio existent et existeront. Certes, le marché Bio actuel est sous tension. Nous sommes sur un palier, la situation actuelle appelle à la vigilance et à se recentrer sur les fondamentaux de la Bio. Il ne faudrait pas se retrouver dans quelques années en pénurie de produits Bio…

Auteur : Fabienne Delaby

Pour plus d’informations : Initiative Bio Bretagne : Goulven OILLIC, Coordinateur Filières, Restauration Collective, Études et Développement économique – 02 99 54 03 50 – goulven.oillic@bio-bretagne-ibb.fr


[1] Source : Nielsen IQ
[2] Source : Bio Panel

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