Les ONG s'opposent à l'approche 'produit' du PEF

Des associations de consommateurs, des ONG environnementales et de bien-être animal[1], des scientifiques, des producteurs, des filières et des entreprises engagées dans la transition écologique se sont opposées au projet d'affichage environnemental de la Commission Européenne. En effet, ce projet de directive pour les futurs encadrements des allégations environnementales (« substantiating green claims ») ne permettrait pas en l'état d'assurer la cohérence avec les stratégies de transition écologique. Aussi, le projet de texte n’a pu être publié à sa date prévue, le 30 novembre. Il a été reporté pour 2023 sans date précise. Aucun cadrage communautaire de?finitif ne sera validé avant 2025 selon la Commission Européenne.
Ce report, s’il n'est pas souhaitable pour certains secteurs industriels, l’était hautement pour les produits bio-sourcés.

La volonté initiale de ce projet de texte était de lutter contre le greenwashing, mais l’outil de mesure mis en avant par le projet, le favorisait. Il s’agit du Product Environmental Footprint (PEF), qui est l’outil d’analyse de cycle de vie (ACV) promu depuis quelques années par la Commission Européenne, ainsi que par le gouvernement français (via la plateforme Agribalyse).

Si tous les acteurs de la transition, dont l'initiative Planet-score fait partie, souhaitent voir aboutir un cadrage qui empêche le greenwashing, le PEF n’est pas un outil suffisant pour répondre à cet objectif quand il s’agit de produits bio-sourcés. Le constat est partagé, notamment par l’INRAE[2], qui précise :

« L’approche « produit » de l’ACV (PEF) ne permet pas de considérer l’ensemble des paramètres du système de production alimentaire, et amène à ignorer certains aspects essentiels de l’agriculture durable (notamment la préservation des sols et la biodiversité, la réduction des impacts liés à une moindre utilisation des pesticides). Par conséquent, les évaluations environnementales par ACV ont tendance à favoriser les systèmes d’agriculture intensive, qui génèrent des rendements plus élevés, mais fournissent moins de services écosystémiques que les systèmes extensifs. »

Les alertes s’étaient multipliées depuis quelques années, et intensifiées ces derniers mois : lettre ouverte des ONG à la Commission Européenne sur les produits alimentaires[3] puis sur le textile[4], position paper de la fédération européenne des associations de consommateurs[5], rapport de la fédération européenne des ONG environnementales[6], position paper d’IFOAM Europe[7], position paper d’Eurogroup4Animals[8], communiqués inter-associatifs[9], lettre ouverte de collectifs étudiants[10], lettre ouverte des acteurs du textile (fibres naturelles)[11], prises de parole d’experts, incluant des experts ACV et de chercheurs[12], d’entreprises et de filières engagées...

 

Un outil de mesure incapable de refléter la valeur environnementale des produits alimentaires et textiles …

Le PEF favorise l’intensification, et ignore les limites planétaires, limites à l’intérieur lesquelles nous devons pourtant impérativement raisonner si nous souhaitons, collectivement, tendre vers des systèmes de consommation et de production soutenables. Intensifier n’est pas réduire les impacts globaux. Le PEF passe sous silence des enjeux majeurs, notamment l’effondrement de la biodiversité, qui est une menace directe sur notre capacité à produire durablement. Les problèmes posés par les pesticides, les engrais de synthèse et les emballages plastiques, sont également invisibilisés, de même que l’intensification des systèmes d’élevage. Cet outil, conçu au départ pour l’univers industriel, n’est tout simplement pas adapté aux processus agricoles. La complexité des systèmes liés au vivant et à la nature ne peut pas être comptabilisée dans un outil conçu pour la production de boulons et d’ordinateurs.

 

… et en désalignement avec les politiques publiques environnementales

Loin de soutenir les politiques publiques environnementales européennes et françaises en lien avec l’agriculture (Green Deal, stratégie Farm to Fork, stratégie Biodiversity, politiques de reconquête de la qualité de l’eau des Agences de l’Eau, EcoPhyto...), cet outil présente des risques de désalignement importants : pour les produits alimentaires, et tel que la France semble souhaiter l’utiliser[13], il permettrait d’alléguer que les œufs les moins impactants pour l’environnement sont ceux issus de poules élevées en cage, que toutes les pommes sont excellentes pour l’environnement, même importées de l’autre bout du monde et fortement traitées[14], ainsi que les tomates produites à contre-saison à Noël. Que les pulls en laine sont des catastrophes environnementales, de même d’ailleurs que les moutons qui ont fourni la matière première. Même pour les fromages, surtout s’ils sont de brebis ou de chèvre. Que les emballages plastiques sont plus respectueux pour l’environnement que les emballages en carton, ou la consigne. Des experts n’ont pas hésité à qualifier le PEF, lors d’une récente conférence au Parlement européen, de « dispositif Shadock [15]»

 

Un outil très vivement critiqué en France également

Le même message a été adressé au gouvernement français par les associations de consommateurs, les ONG et des collectifs étudiants, dans une large tribune qui vient de paraitre[16]. La critique est en effet vive en France également, car les travaux menés à date par le gouvernement semblent accorder une confiance aveugle au PEF malgré les controverses. Cet outil doit pourtant être dépassé, et son usage ne peut manifestement pas être central pour les produits alimentaires et textiles.

 

Un débat de société, largement évité par les pouvoirs publics pour l’instant

Loin d’être un sujet technique, la question des métriques permettant de cadrer les « allégations environnementales » est un véritable débat de société, qui pour l’instant n’a pas été traité en tant que tel, et qui pourrait passer largement inaperçu sans la mobilisation des acteurs engagés.

Les prises de parole récentes, et l’ajournement du projet de texte « green claims » par la Commission, doivent permettre de rentrer dans le fond du sujet : quel est le scenario de transition écologique de l’agriculture et de l’alimentation sur lequel les outils d’orientation doivent être fixés. Les outils encapsulent nécessairement, le plus souvent implicitement, une vision de l’avenir possible et souhaitable[17], il est essentiel d’expliciter le cap avant de définir les outils permettant de nous guider collectivement, via nos actes d’achats et le signal donné aux entreprises.

Pour en savoir plus : communiqué de presse de Planet-Score

 

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[1] Joint letter: concerns over the substantiating green claims initiative
[2] Van der Werf et al, 2020
[3] Joint open letter: concerns over PEF methodology for agri-food products
[4] Joint open letter: concerns over PEF methodology for textiles
[5] BEUC, Towards meaningful consumer information on food ecological impact
[6] EEB, The EU Product Environmental Footprint (PEF) Methodology, what can it deliver and what not?
[7] IFOAM OE, Position paper on sustainability labelling & the Planet-score
[8] Enhanced animal welfare MoP labelling and sustainability labelling
[9] Communiqués inter-associatifs : http://bit.ly/3VnOgId ; https://bit.ly/3CnnJnb
[10] Lettre ouverte collectifs étudiants Déclic & Pour un Réveil Écologique
[11] Make The Label Count: PEF, a licence to greenwash
[12] Conférence en ligne au Parlement Européen, 26/10/2022 : « Green Claims & PEF : how can metrics foster or destroy
sustainability? », - panel n°1 (experts) & panels n°2-3-4 (ONGs et entreprises engagées) ; Événement du 5 juillet 2022 à Paris
[13] Socle transversal sur la base de l’unité fonctionnelle massique (kilo)
[14]Conférence de presse à Bruxelles, UFC-Que Choisir, 26/10/2022
[15] Conférence en ligne au Parlement Européen, 26/10/2022 : « Green Claims & PEF: how can metrics foster or destroy sustainability? » - panel n°1 (experts)
[16] L’Observateur : « Etiquette environnementale : ne nous trompons pas de méthode »
[17] Rapport IDDRI, Affichage environnemental alimentaire : révéler les visions pour construire un compromis politique

 

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