Les consommateurs ne rejettent pas forcément les qualités organoleptiques de la viande, et cherchent donc des substituts semblables.
Plusieurs axes de travail sont donc à prendre en compte au niveau de la formulation de ces produits pour permettre d’apporter une texture, un goût et un apport protéique proches de ceux de la viande traditionnelle :
- la teneur en protéines ;
- la rétention d’eau ;
- la cohésion de la matrice et de ses composants ;
- la texture fibreuse, l’élasticité, le moelleux, la tendreté et la jutosité ;
- la formation et la stabilisation des émulsions (pour les saucisses notamment) ;
- l’absorption des lipides et la fixation des arômes.
Mais rappelons tout d’abord les caractéristiques générales de la viande.
Reproduire la texture unique carnée
Préambule : composition de la viande
La viande correspond aux muscles striés squelettiques des animaux. Elle se compose de 3 principaux éléments :
- les fibres musculaires (cellules allongées)
- le tissu adipeux (gras)
- le tissu conjonctif (collagène).
Les fibres musculaires contiennent du liquide ainsi que les protéines nécessaires à la contraction (actine et myosine). Elles sont enveloppées de diverses couches de collagène qui rendent la viande plus dure et coriace. La tendreté de la viande dépend donc de la quantité de collagène qu’elle contient. Ce tissu conjonctif se compose de longues chaînes de protéines enroulées sur elles-mêmes et appelées fibres. Les fibres de collagène sont attachées les unes aux autres par des liaisons chimiques. Plus les fibres sont liées entre elles, plus la viande sera dure.
La cuisson de la viande permet de rompre les liaisons chimiques entre les fibres de collagène, ce qui le solubilise et forme une gélatine, plus facilement masticable.
Autre phénomène, sous l’effet de la chaleur, les protéines contenues dans les fibres musculaires coagulent. En se resserrant, elles expulsent l’eau qu’elles contiennent. Plus la température augmente et plus le jus sort de la viande.
Le tissu adipeux est quant à lui en grande partie responsable de la saveur de la viande. Le gras intramusculaire (persillé) fond pendant la cuisson et rend la viande plus juteuse.
Comment substituer alors les différents constituants de la viande afin de reproduire une texture similaire ?
Les matières protéiques végétales comme base
Nous avons vu que les protéines sont un élément central de la texture de la viande. Bien qu’elle varie en fonction des espèces, la teneur moyenne en protéines de la viande est de 20%. Les Matières Protéiques Végétales (MPV) sont des ingrédients alimentaires intermédiaires issus d’espèces végétales riches en protéines. Elles sont obtenues à partir de protéagineux (lupin, féverole, pois), d’oléo-protéagineux (soja) et de céréales (blé, orge…).
Des ingrédients réglementés
Les MPV ainsi que leurs conditions d’appellation, d’étiquetage et d’utilisation, sont définies réglementairement au niveau français, européen et mondial. De manière générale, la teneur en protéines doit être supérieure ou égale à 40% (sur l’extrait sec) pour que le produit ait droit à l’appellation MPV. Mais pour le gluten de blé et le soja, des normes spécifiques s’appliquent. Le gluten de blé doit avoir une teneur protéique minimale de 80%, tandis que les MPV de soja sont définies de la manière suivante :
- farine : 50 à 65% du poids sec ;
- concentrats : 65 à 90% du poids sec ;
- isolats : au moins 90% du poids sec.
En France, la norme est plus restrictive : la présence de protéines végétales ne peut être indiquée que lorsque leur teneur est supérieure à 45% de la matière sèche. Et les différentes appellations sont autorisées sous les conditions suivantes :
- farine : 45 à 65% ;
- concentrat : 65 à 90% pour le soja et 70 à 90% pour les autres végétaux ;
- isolat : au moins 90% de protéines.
Il existe 4 grandes familles de protéines :
- les albumines ;
- les globulines ;
- les prolamines ;
- les glutélines.
Ces protéines de réserve sont extraites par voie sèche (fractionnement de la farine pour séparer la partie la plus riche en protéines) ou par voie humide (trempage de la farine dans l’eau pour en séparer les fractions principales : amidon, protéines et fibres).
Les graines sont délipidées, trempées et broyées puis les protéines sont coagulées afin d’être récupérées.
Les globulines se retrouvent principalement dans les légumineuses et oléagineux (60 à 90%) tandis que les prolamines et les glutélines sont plutôt présentes dans les céréales (80 à 90%)[1].
Soja
Le soja contient environ 40% de protéines (et 5% de fibres). Ses protéines sont principalement des globulines 7S et 11S, solubles en solution saline, et formant un réseau viscoélastique. Via un traitement thermique, les globulines de soja vont former un gel dont la fermeté dépendra de la variété de soja.
Différents produits protéiques et texturants peuvent être obtenus à partir des flocons de soja dégraissés :
- protéines isolées de soja ;
- fibres de soja ;
- concentrés de protéines de soja ;
- protéines texturées de soja (obtenues par extrusion) ;
- farines de protéines de soja.
Le tofu est obtenu par coagulation du jus de soja aux environs de 85°C. Le coagulant traditionnel est le nigari (chlorure de magnésium) mais le chlorure de calcium, le sulfate de calcium (gypse) ou encore la ? glucono-lactone (GDL) peuvent également être utilisés.
L’utilisation du nigari donne une coagulation lente et un tofu qui fixe peu d’eau, soit un rendement faible.
L’utilisation du chlorure de calcium permet une coagulation rapide, une texture ferme et apporte du calcium.
L’utilisation du sulfate de calcium donne des rendements supérieurs de l’ordre de 15 à 20% par rapport au nigari ainsi qu’une texture molle et une saveur neutre.
Quant à la GDL, elle permet de traiter le lait de soja au moment de son conditionnement et d’obtenir un produit stérile. Après traitement thermique, on obtient un tofu de texture molle contenant près de 90% d’eau.
Le tofu peut également être produit par lactofermentation du jus de soja, comme la production de fromage à partir de lait. “Cette coagulation par voie microbiologique présente de nombreux avantages et donne un produit différent de ceux obtenus par coagulation physico-chimique”, explique Laurent Vondra, directeur de production chez Le Sojami, unique producteur européen de tofu lactofermenté bio. “La texture est à la fois friable et ferme et le goût un peu plus acide, en raison de la lactofermentation (note fromagère) du jus. Cette fermentation permet d’améliorer la digestibilité et les qualités nutritionnelles du produit (amélioration de la biodisponibilité…), tout en favorisant la flore intestinale.”
Le tofu est utilisé dans de nombreuses préparations culinaires, seul ou en mélange, coupé en dés, émietté, grillé… Et sa saveur neutre lui permet d’être facilement aromatisé.
Grâce à sa texture ferme et sa couleur claire, le tofu à faible teneur en eau (60%), obtenu après pressage, donne un aspect de chair de poulet.
Blé
Le blé contient 12 à 17% de protéines. On distingue les protéines solubles ou albumines et les protéines insolubles constitutives du gluten : les gliadines (groupe des prolamines) et les gluténines (groupe des glutélines).
Les albumines ont de bonnes propriétés tensio-actives qui permettent de générer des mousses stables. Parmi les albumines, on retrouve des protéines à rôle métabolique : les indolines et les Lipid Transfer Protein (LTP). Les indolines, présentes dans le blé mais aussi l’orge, ont la capacité de se lier aux lipides grâce à leurs zones hydrophobes en surface. Elles permettent ainsi une meilleure stabilité des mousses que les protéines d’œuf.
En présence d’eau, les gliadines et les gluténines forment un réseau viscoélastique (gluten), réseau de fibres qui piège l’eau, aux propriétés texturantes et adhésives.
Les gluténines ont une viscoélasticité très élevée. Ce sont des protéines agrégées de haut poids moléculaire qui donnent de la ténacité et de l’élasticité. Elles représentent 30 à 40 % des protéines totales.
Les gliadines ont une forte extensibilité. Étant beaucoup plus petites que les gluténines elles permettent l’extensibilité, la viscosité et la plasticité de la pâte à pain. Les gliadines sont présentes dans toutes les céréales. Elles représentent 40 à 50 % des protéines totales.
Le gluten est extrait de la farine de blé par voie humide. Il est utilisé en tant que source de protéines dans les substituts de viande et permet d’imiter les constituants du muscle, notamment les fibres musculaires et le collagène. En effet, après avoir été texturé par extrusion, il peut absorber jusqu’à 4 fois son poids en eau et apporte du liant. Il imite ainsi bien les produits de viande et volaille.
Le seitan est essentiellement composé de gluten. Sa texture fibreuse et sa couleur brune rappellent celles d’une viande tendre. Traditionnellement, il s’obtient en séparant le gluten de la farine de blé, puis en le pétrissant afin d’obtenir une pâte que l’on fait ensuite cuire dans un bouillon à base de sauce soja et d’épices.
Pois
Le pois contient en moyenne 25% de protéines (et 15% de fibres).
Son avantage par rapport au soja est de ne pas présenter de risque OGM ni allergène.
En revanche, il présente un goût assez prononcé qu’il faut prendre en compte dans la formulation du produit.
Les différents degrés d’extraction permettent d’obtenir des farines riches en protéines, des fibres de pois ou des fractions protéiques isolées très digestibles, permettant notamment de stabiliser les émulsions, propriété intéressante pour les saucisses végétales par exemple.
Les protéines de pois texturées sont souvent utilisées dans les steaks végétariens. La contrainte mécanique et thermique qu’elles subissent durant la cuisson-extrusion modifie la structure des protéines et leur donne une forme en feuillet. Après réhydratation, elles présentent un aspect fibreux comparable à celui de la viande.
Lupin
Le lupin contient 40% de protéines (et 30% fibres).
Les pépites et les différentes références de farines de lupin sont obtenues à partir de la graine entière par un process intégralement physique : traitement thermique plus ou moins fort (références toastées ou non), décorticage (ou non, pour les farines complètes), concassage et broyage plus ou moins fin (micronisation) selon la granulométrie finale des produits.
Les concentrés de protéines et de fibres de lupin sont obtenus par voie humide.
Du fait de leur teneur en caroténoïdes, ces ingrédients apporteront une couleur jaune au produit.
Leur contenu en protéines spécifiques et en phospholipides leur confère d’excellentes propriétés émulsifiantes, permettant de remplacer les protéines animales (caséinates, jaune d’œuf…). Tandis que leur teneur en fibres offre également une bonne capacité de rétention d’eau.
Microalgues
Les microalgues telles que la chlorelle ou la spiruline sont riches en protéines (40 à 70%) et contiennent 2 à 10% de fibres. Elles existent sur le marché sous forme de farines contenant de 50 à 65% de protéines, mais pas encore en bio. Nous n’avons de ce fait pas constaté d’utilisation de ces ingrédients protéiques dans les substituts de viande de notre enquête bio.
Synergie avec la matière grasse
L’ajout de matière grasse sous forme d’huiles végétales est fréquent dans la fabrication des simili carnés afin de rendre le produit plus juteux.
Les différents réseaux protéiques emprisonnent les gouttelettes lipidiques responsables de la jutosité et de l’onctuosité.
La matière grasse joue également le rôle d’exhausteur de goût puisqu’elle permet de fixer les arômes.
Utiliser les fonctionnalités des ingrédients texturants
Des ingrédients fonctionnels sont utilisés en complément des protéines végétales afin de renforcer l’imitation de la texture des produits carnés.
Chez Arlès Agroalimentaire, distributeur français d’ingrédients et d’additifs fonctionnels, Yann Bregeon explique notamment qu’il est intéressant de les associer à des fibres végétales qui vont donner de la mâche au produit, une structure fibreuse qui va retenir l’eau lors de la cuisson et maintenir l’humidité dans le produit. Le mélange protéines-fibres est déjà présent dans les farines texturées de soja ou de pois par exemple. Mais les fibres peuvent également être ajoutées séparément.
Les fibres d’avoine, de blé et de bambou disposent d’une longueur de chaîne assez importante. Le pouvoir de rétention d’eau des fibres varie pourtant selon leur origine. Les fibres d’avoine ont par exemple un pouvoir rétenteur un peu inférieur.
Pour cette raison, Yann Bregeon recommande donc d’utiliser différents types de protéines et de fibres dans les produits simili carnés. “La combinaison de protéines de soja et de blé permet par exemple de mieux conserver la forme du produit lors de la cuisson”.
Les ingrédients texturés de riz, de blé, de soja ou de lupin, obtenus par réhydratation et expansion de la farine, donnent du moelleux et du juteux au produit car ils imitent la texture du gras. Ils limitent également le rétrécissement du produit lors de la cuisson en évitant une perte d’eau trop importante.
Chez Meatless, fournisseur hollandais qui a mis au point ce type d’ingrédients, Christophe Castex indique que les texturés de riz sont les plus demandés. “La neutralité du goût et de la couleur permet de les utiliser dans de nombreuses applications. Ils donnent une texture plus moelleuse que les texturés de soja et ne présentent pas de risque allergène ou OGM”.
En effet, là aussi les caractéristiques des matières premières impactent les propriétés fonctionnelles et organoleptiques des ingrédients obtenus.
“Grâce à leur couleur originelle et leur structure fibreuse, les texturés de lupin se rapprochent beaucoup du visuel et de la texture de la volaille. Un réel atout par rapport aux texturés de soja ou autres pois, dont certaines propositions restent décevantes par rapport au manque de texture fibreuse, ou au goût prononcé de la matière première qui nécessite d’être masqué. L’offre Meatless en texturés de blé s’élargit avec des propositions colorées afin de se rapprocher, par exemple, d’un visuel de viande cuite”, précise-t-il.
Les farines de céréales, de légumineuses ou les flocons de pomme de terre permettent essentiellement de capter l’eau et de la maintenir dans le produit.
Mais la structuration de simili carnés nécessite aussi souvent l’utilisation d’autres ingrédients tels que des amidons, ou additifs tels que des hydrocolloïdes.
Amidons et additifs texturants
Les amidons jouent le rôle d’épaississant ou de gélifiant et augmentent la viscosité du produit. Ils peuvent cependant nécessiter l’ajout d’additifs texturants en synergie.
La farine de graines de caroube retarde par exemple la rétrogradation des amidons et influence leur viscosité. L’association de galactomannanes et d’amidon forme ainsi des gels plus solides et stables.
Les gommes de guar et de caroube peuvent aussi agir en synergie avec la gomme xanthane. Cependant le résultat est différent : la synergie caroube/xanthane donne un gel ferme et élastique, tandis que la synergie guar/xanthane épaissit sans donner une gélification.
L’attrait du produit : travailler goût & couleur…
D’après notre enquête, deux positionnements existent pour le développement de produits simili carnés :
- imiter le mode d’utilisation de la viande (“steak végétal”) et sa texture, sans copier son goût et sa couleur. Le produit a alors ses propres caractéristiques organoleptiques et le revendique sur l’emballage.
- imiter le produit carné dans sa globalité. Des solutions aromatisantes et colorantes naturelles permettant d’imiter le goût et la couleur de la viande sont alors employées.
Aromatisation
Les consommateurs sont peu enclins à faire des concessions sur le goût. Selon Mintel GNPD, 2 Français sur 3 considèrent que les protéines animales ont un meilleur goût que les protéines végétales. La base végétale des simili carnés est généralement neutre en goût, permettant de jouer sur l’aromatisation pour pouvoir mieux se rapprocher du goût de viande.
D’après notre enquête, différents ingrédients aromatisants sont utilisés dans les substituts de viande bio, comme les extraits de levure, la sauce soja ou des épices. On y trouve en revanche peu ou pas d’arômes simulant les saveurs typiques carnées.
L’extrait de levure est utilisé en industrie agroalimentaire sous différentes formes (poudre, pâte ou encore liquide). Il s’obtient à partir de levures dégradées enzymatiquement.
La sauce soja est un ingrédient fermenté d’origine asiatique, composé essentiellement de soja, de blé (selon les pays), de sel et d’eau.
Ces deux ingrédients permettent de relever le goût des aliments, comme le ferait un bouillon de viande. Ils permettent la perception du goût umami et donnent une saveur proche de la viande sans denrée animale.
Les épices peuvent remplir à la fois le rôle d’arôme et de colorant. Il s’agit en général de celles utilisées pour les préparations carnées, permettant ainsi de rester proche du process de fabrication des produits carnés.
Autre procédé souvent utilisé pour les produits carnés, la fumaison. Sans donner un goût de viande à proprement parlé, la saveur fumée peut, par association, accentuer le lien avec les produits carnés.
Coloration
La couleur de la viande dépend de la proportion de fibres rouges, riches en myoglobine (protéine responsable de la couleur de la viande), et de fibres blanches. Dans les simili carnés, on retrouve des épices ou des denrées alimentaires colorantes telles que le paprika, la betterave, la tomate, le poivron rouge, rappelant la couleur d’une viande saignante ou d’une charcuterie.
… sans négliger le profil nutritionnel
D’après Mintel GNPD, 53% des Français estiment que les protéines végétales ont de meilleures qualités nutritionnelles. Pourtant, ils sont également sensibles aux allergènes (soja, gluten, lupin) et à la digestibilité (légumineuses).
La qualité des sources alimentaires protéiques est notamment définie par leur capacité à couvrir les besoins en acides aminés indispensables. Les protéines animales sont dites de haute qualité nutritionnelle car bien équilibrées en ces acides aminés. En revanche, certaines protéines végétales ont une teneur limitée en acides aminés indispensables : la lysine pour les céréales et les acides aminés soufrés pour les légumineuses. Leur aminogramme étant complémentaire, leur association permet de rééquilibrer les apports en acides aminés et de disposer de protéines complètes, mieux assimilables.
D’autre part, les vitamines et les minéraux d’origine animale sont fortement biodisponibles. Ce qui n’est pas forcément le cas de ceux d’origine végétale. Il est par exemple très difficile d’assimiler du fer d’origine végétale, contrairement au fer d’origine animale. Cette assimilation pourra cependant être améliorée par la présence de vitamine C.
Certaines vitamines, comme la vitamine B12 ou D, sont également plus rares dans les produits végétaux qu’animaux, créant un risque de carence si elles ne sont pas compensées.
En revanche, les produits végétaux apportent des fibres, complètement absentes de la chair animale et moins d’acides gras saturés, un atout dont nous avions expliqué l’importance dans notre dossier sur les légumineuses.
[1] Les protéines végétales de plus en plus convaincantes, Process alimentaire, sept. 2016, n°1339.